Alors que la Grande Démission place le sens au coeur des préoccupations des entreprises, celles-ci doivent se transformer pour redéfinir leur identité. Dans ce contexte, comment bien communiquer sans hypocrisie – tant vis à vis de ses collaborateurs que de ses clients ? L’audio ouvre la voie à une communication plus spontanée, plus fluide et plus ouverte afin de recréer un rapport de confiance. Une notion émerge : la culture de l’écoute.
La communication reposant uniquement sur l’image et le texte atteint ses limites
L’ère de la fast news – Une communication verrouillée
Voilà une quinzaine d’années que la logique de flux a profondément bouleversé notre façon de communiquer. L’économie de l’attention nous a fait entrer dans la société du scroll et du temps court. Le marketing digital repose aujourd’hui sur un précepte simple : chaque message se veut efficace en un minimum de temps et un minimum de mots. Notre rapport à l’écran emprunte au stakhanovisme sa volonté de donner à chaque seconde une utilité. Pas de répit pour les yeux.
En effet, à l’heure où la communication se veut performante, tout contenu digital est scripté au mot près. Les acteurs communicants – entreprises comme particuliers – soignent leurs messages, les relisent deux, trois, quatre fois avant de les publier sur la toile. Chaque mot est examiné à la loupe, les emojis sont minutieusement choisis. En un mot, le message est calibré pour produire un effet. Tout est sous contrôle.
Cette façon de communiquer a de quoi interroger, car elle porte en elle les germes d’une méfiance grandissante à l’égard des contenus digitaux. Le grand public a admis qu’une publication de marque est aujourd’hui maîtrisée jusque dans les moindres virgules. En découlent deux phénomènes. D’une part, les maladresses de communication sont perçues comme des dérapages contrôlés, ce qui explique la véhémence avec laquelle ils sont parfois accueillis par l’opinion publique. Le bad buzz n’est jamais loin. D’autre part, comment ne pas être perplexe lorsqu’une marque met en avant sa prétendue spontanéité alors qu’elle a recruté un Community Manager pour mettre en place des outils d’acquisition client ? L’effet de proximité s’estompe, la confiance aussi.
Une image ne vaut pas mille mots
Il est difficile de comprendre les problèmes de communication dont nous souffrons actuellement sans s’intéresser à la place qu’a prise l’image depuis une cinquantaine d’années. L’adoption massive de la télévision dans les foyers occidentaux a durablement changé notre perception du monde en faisant entrer dans le salon de millions d’individus une projection de ce qui semblait être la réalité – du fait de son caractère réaliste.
L’image photographiée est depuis considérée comme la représentation la plus fiable possible du monde. Pourtant, dès 1961, le philosophe et sémiologue Roland Barthes publiait un article intitulé Le message photographique dans lequel il soulignait que l’image est un langage qui possède une grammaire très signifiante (composition de l’image, cadre, lumière, posture du sujet filmé). Néanmoins, les croyances ont la dent dure et nous en sommes toujours à suivre le précepte de Saint Thomas : « Je ne crois que ce que je vois ».
C’est ainsi que toute la communication moderne s’est focalisée sur la vue, délaissant les autres sens. Ce choix est aujourd’hui à remettre profondément en question, et cela pour plusieurs motifs :
- Tout d’abord pour des raisons techniques : les outils numériques ont rendu le truquage à la portée de tous, ôtant à l’image sa présomption de véracité.
- Ensuite pour des raisons psychologiques : le culte de l’image tend à renforcer nos biais de représentativité en nous amenant à nous forger une opinion sur les autres à partir d’éléments physiques qui ne sont pas nécessairement représentatifs de leur personnalité. En l’occurrence, le spectateur juge le messager sur son apparence plutôt que sur son message.
- Troisièmement pour des raisons commerciales : Il est très difficile pour une marque de laisser une impression forte dans un environnement dans lequel une image en chasse une autre. Cela revient à noyer une touche de couleur dans un océan de peinture. Difficile d’émerger sur les réseaux en utilisant des outils déjà surexploités par tous vos concurrents, et au-delà.
Disons-le clairement : l’image s’avère un médium incomplet pour répondre aux besoins de communication des entreprises, notamment B2B. Pour retrouver un discours authentique dans lequel le message serait prééminent, nous avons besoin de tendre l’oreille. Il ne s’agit pas tant aujourd’hui de nous débarrasser de l’image – hypothèse illusoire – que de venir en combler certaines lacunes par un médium à portée d’oreille : l’audio.
Et si nous nous écoutions vraiment ?
Le podcast, une bouffée d’air frais
Le récent succès des podcasts de marque nous enseigne qu’il est possible de communiquer sans image. Une évidence qui n’en était pas une il y a encore quelques années compte tenu de la place centrale des visuels dans la communication des entreprises : logos, affiches, publicités, illustrations, motion design… Leurs seuls repères en matière d’utilisation de l’audio étaient souvent de terribles pubs radio criardes et interchangeables. Bref, nous partions de loin…
Pourtant, au tournant des années 2020, de plus en plus de marques ont entrepris de réinventer leur communication en se mettant au podcast (Schneider Electric, LVMH, Danone, la SNCF…). Le podcast a ouvert de nouvelles possibilités narratives pour les entreprises : fictions sonores, reportages, témoignage des experts au contact du terrain, discussions libres… Autant de formats qui instaurent une relation de proximité entre la marque et sa communauté.
L’audio pour consolider sa communauté
Car c’est bien la notion de communauté qui s’avère la plus parlante pour comprendre le changement de posture des marques à l’ère du Web 3.0. Désormais, elles ne s’adressent plus à des masses mais à des individus libres d’occuper leur temps comme ils l’entendent.
Le podcast – écouté souvent seul avec des écouteurs – n’est donc pas utilisé pour convaincre une masse de consommateurs du caractère révolutionnaire d’un produit, mais pour apporter à un contenu de qualité (divertissement, information, sujets de société) à une communauté d’auditeurs libres. A l’heure de l’inbound marketing, les marques doivent apprendre à devenir leur propre influenceur. L’effet d’authenticité de la voix amène à une prise de parole plus sincère, à-même d’inspirer confiance.
L’heureux retour des formats longs
Avec une durée de 5 à 120 minutes, les podcasts réintroduisent les formats longs parmi les contenus digitaux natifs. Un grand retour rendu possible par la dimension nomade des podcasts, principalement écoutés dans des moments de transports, de sport, de cuisine, de ménage… Des moments dans lesquels la vue et les mains sont prises, mais l’oreille est disponible pour un temps d’attention plus long. On expire un grand coup, on lance son podcast, et on mêle l’agréable à l’utile.
À bien des égards, le come-back des formats longs est une bonne nouvelle. Moins soumis que les formats courts à l’exigence d’un rythme soutenu, ils favorisent des discussions allant plus au fond des choses. Le boum des podcasts abordant des sujets économiques et de société n’a rien du hasard. Qu’il s’agisse de Génération Do It Yourself, Les Couilles sur la Table, Backseat ou Le Climat en question, la durée de ces émissions permet aux intervenants de s’exprimer sans avoir à simplifier leur propos à outrance, et permet donc de livrer leur vision personnelle du monde en sortant des caricatures.
La preuve par l’audio
Il suffit d’écouter quelques podcasts de marque pour réaliser qu’un format revient très souvent, celui du témoignage. Qu’il s’agisse de mettre en avant ses collaborateurs, ses partenaires ou ses clients, les entreprises n’hésitent pas à donner la parole à celles et ceux qui la font vivre. Un exercice qui se prête très bien à l’audio, compte tenu du caractère décontracté et rassurant du micro, moins solennel qu’une caméra.
Si l’audio met en confiance les intervenants, il en est de même pour les auditeurs. Moins formaté que la vidéo, le podcast est encore considéré comme un support fiable qui revient à la simplicité du message. L’absence d’image focalise l’attention de l’auditeur sur la parole du locuteur. L’écoute active qui en résulte crée un rapport privilégié avec le locuteur, fondamental pour créer du lien.
Au-delà du podcast, l’audio pour se comprendre
Au-delà du podcast, l’audio a pris depuis quelques temps une place de choix dans les conversations privées. Pourquoi les vocaux ont-ils tant la côte ? Certains messages gagnent à être racontés par la voix plutôt qu’à l’écrit : une bonne nouvelle, une anecdote, un ressenti… En somme, l’audio apporte de la vitalité au message, et surtout lui ajoute une gamme d’expressivité à travers la prosodie du locuteur pour éviter les malentendus.
Prenons un exemple tout à fait concret pour illustrer ce dernier point. Imaginons que vous ayez une discussion agitée par message avec un proche (votre conjoint, votre ami, un parent). À mesure que l’échange se prolonge, le désaccord s’accentue entre vous. Chacun cherche les bons mots pour être le plus percutant possible et faire entendre son point de vue. Soudain vous recevez le message suivant : « T’as raison. » Comment l’interpréter ? Après de longues minutes passées à vous affronter, ce signal vous perturbe. L’interlocuteur fait-il un pas vers vous, ou est-il boudeur ? Son attitude est-elle hostile, neutre, amicale ?
Le problème du message écrit réside dans la pluralité des interprétations qui peuvent en être faites. Confiez un texte de théâtre à cent comédiens, et vous en aurez cent lectures différentes. Dans la situation présente, il vous manque un élément pour décoder l’attitude de l’autre et lui formuler une réponse adaptée. La compréhension mutuelle est partielle, et le quiproquo quasi certain.
Un simple vocal permet au contraire à l’un comme à l’autre de comprendre dans quel état d’esprit se trouve son interlocuteur, pour adapter son discours en conséquence. Cela nous amène à une notion centrale pour la prochaine décennie : développer la culture de l’écoute.
Conclusion : la culture de l’écoute, un projet de société
Vous l’aurez compris, cette tribune vise à exposer le rôle clé que tend à prendre l’audio dans la communication des organisations – tant en interne qu’en externe. Le concept de culture de l’écoute apparait ici particulièrement éloquent pour retisser les liens et impulser une dynamique collective. En voici les contours.
Premièrement, la culture de l’écoute repose sur la volonté de mieux se comprendre. Cela implique au préalable d’aborder les sujets avec une certaine humilité et de se prendre conscience de ses propres préjugés pour éviter l’effet Dunning-Kruger.* Cette précaution étant requise, la parole de l’autre est accueillie avec une certaine bienveillance, en acceptant que le monde soit plus nuancé qu’un slogan. Au demeurant, la culture de l’écoute porte en elle la transposition de la sagesse dans la communication interpersonnelle.
Deuxièmement, la culture de l’écoute commande de prendre le temps, savoir ralentir le rythme pour accorder aux sujets d’importance le temps qu’ils méritent. Elle s’avère ici exigeante, car il s’agit d’interrompre le flux continu des occupations et distractions pour se concentrer sur la parole de l’autre et s’autoriser à prendre quelques instants pour reconsidérer la situation sous un angle nouveau. Dès lors, la culture de l’écoute donne une place particulière au silence et à la méditation.
Troisièmement, la culture de l’écoute se place dans une logique de coopération. L’écoute impliquant l’ouverture à l’altérité, elle admet évidemment le désaccord, tout en s’opposant à la logique narcissique du clash. Elle implique donc de déposer la posture et de respecter l’opinion d’autrui, fût-elle radicalement opposée à la sienne.
Cette culture s’inscrit par définition dans une démarche d’ouverture et de lâcher prise. Les entreprises ont tout intérêt à s’emparer de cette transformation pour renforcer leurs liens, aussi bien avec leurs collaborateurs qu’avec leurs clients. Une révolution silencieuse est en cours, donnant à la voix un écho qu’elle n’avait jamais connu jusqu’ici.
*En 1999, les psychologues américains David Dunning et Justin Kruger mettaient en évidence un biais cognitif de surconfiance. Les individus ont naturellement tendance à surestimer leur compétence dans les domaines qu’ils maîtrisent le moins, et donc à baser leur première analyse sur des certitudes infondées.